[Flashback : Lucy, écrit par Gabriel Durnerin, récompensée à l’As d'Or 2023 - catégorie Enfant, est le second épisode dans la collection Flashback, créée par Baptiste Derrez et Marc-Antoine Doyon, et éditée par le Scorpion Masqué. Vous pouvez retrouver le carnet d'auteur sur le premier épisode ici]
crédit : Eva Jiahui Gao
LA GENÈSE
Le projet Lucy commence pour moi en avril 2022. A cette période, je travaille principalement sur deux projets de jeux de rôle. Je reçois un message de Christian Lemay (le fondateur et alors patron du Scorpion Masqué) tard sur Messenger (enfin tard pour moi. Au Québec il était 16h).
Je connaissais Christian pour l’avoir croisé plusieurs fois en salon aux débuts du Scorpion quand je travaillais vaguement pour Matagot (à l’époque de la sortie de « Grimpe ! ») et surtout de l’époque où j’étais chef de projet chez Iello. Je l’avais « débauché » pour que Iello distribue le Scorpion Masqué et nous avions travaillé ensemble pendant plusieurs années. Le courant passait très bien, avec un respect mutuel sincère.
C’est donc un plaisir de voir apparaitre ce message à 23h ce 4 avril 2022.
Un certain Marc-Antoine Doyon est en copie. Je ne le connais que de vue, via Es-tu Game et son rôle de jury de l’As d’Or. Il sera le chef de projet du projet pour lequel ils me sollicitent. Il me présente le concept de Flashback et de la première boite (Zombie Kidz) qui est alors en fin de développement. Ils cherchent quelqu’un pour écrire la seconde boite en pariant sur le fait que la première marchera. Le thème est imposé : « horreur-jeunesse ».
(Note de Marc-Antoine : Pour le nouvel opus de la série Flashback, on voulait quelque chose d’un peu plus mature, mais pas trop. Quelque chose qui allait accompagner les enfants qui ont aimé la première boîte à se lancer dans une aventure qui grandirait avec eux. Étant un méga fan des jeux et des films d’horreur, j’ai beaucoup poussé pour qu’on explore une thématique à la “Chair de Poule” ou “Coraline”. Comme on voulait travailler avec un nouvel auteur pour cette boîte, Christian a rapidement proposé Gabriel qui semblait tout indiqué pour apporter le sérieux et la magie que nécessitait le projet.)
Bien sûr que j’ai envie ! Des gens cools, un projet ambitieux, un thème rafraichissant… je dis oui immédiatement.
Je reçois dans l’heure ce qui a été déjà produit pour le premier jeu : le scénario de démo, le premier scénario fini et les deux suivants encore en développement. Je teste tout seul devant mon PC et je suis convaincu.
Dès le lendemain je discute avec les deux intéressés et 10 jours plus tard je rencontre toute l’équipe : Baptiste, Marc-Antoine, Christian et Manuel Sanchez, le directeur du studio. Je leur pitche quelques idées et le projet est lancé avec pour ambition de terminer l’écriture pour l’été.
L’HISTOIRE
Le premier enjeu a été de déterminer l’histoire. Je devais respecter le thème de l’horreur jeunesse, à la façon des livres Chair de Poule. Dans mes pistes de départ, il y avait l’idée de 4 scénarios indépendants, jouables dans l’ordre de son choix, explorant chacun un cliché de l’horreur, avec un personnage narrateur commun (à la manière de Suspects de Guillaume Montiage par exemple). Mais l’équipe du Scorpion préférait garder la structure du premier Flashback : une longue histoire qui se développe sur plusieurs scénarios dans l’ordre.
(Note de Marc-Antoine : Une des forces de Flashback est de pouvoir créer des liens entre les différents scénarios. De mémoire, c’était aussi important pour nous de se démarquer des autres jeux narratifs qui existent en proposant une histoire liée avec un début, un milieu et une fin.)
De tous les classiques de l’horreur, je me concentre alors sur celui de la maison hantée. L’idée vient vite d’explorer cette maison à plusieurs époques. Cinq idées ressortent :
- des jeunes qui explorent le manoir abandonné, à la façon de milliers de films d’horreur. Je le place vite dans les années 90 pour des hommages à Buffy. Cela deviendra le premier scénario, qui s’est finalement déplacé dans les années 2010.
- des chasseurs de fantômes professionnels, mix entre les Warren des films Conjuring et SOS fantômes, où l’idée serait de jouer sur les faux-semblants : on fait croire aux fantômes (et aux joueurs) que tout va bien, alors que derrière le rideau tout tourne mal. Cela a donné, à terme, le deuxième scénario, dans les années 70.
- un tournage de film dans les années 30, façon Ed Wood. Un scénario qui aurait été en noir et blanc, avec des acteurs déguisés en monstres, et des monstres qui se font passer pour des acteurs. J’ai sacrifié cette piste qui aurait fait doublon dans sa structure avec la précédente.
- une virée dans le manoir du docteur Frankenstein pour un hommage à l’horreur gothique/romantique du 19ème. Ce qui a donné le 3ème scénario.
- une virée loin dans le temps à l’époque des procès des sorcières de Salem et toute une histoire avec une grotte dans une falaise inspirée de la BD Lock & Key. La falaise a donné son nom au manoir Cliff mais a disparu de l’histoire. Le reste a donné le 4ème et dernier scénario.
Une fois ces bases posées, il me fallait un lien. C’est là qu’est né Lucy, adolescente aux pouvoirs mystérieux, qui, si elle touche un objet lié à un mort ou un disparu, est capable de revoir son dernier instant. Et donc d’emmener les joueurs dans le jeu.
crédit : Eva Jiahui Gao
Le second lien entre tous les scénarios est le méchant ! L’idée est vite venue d’une Ombre qui s’insinue partout, dont les intentions ne sont pas claires et qui seraient une source de peur pour certains et de fascination pour d’autres. C’est assez inspiré d’une campagne de jeu de rôle que j’avais conçue pour des amis à Bruxelles et esthétiquement, c’est le jeu-vidéo des années 90 Heart of Darkness que j’avais au fond de la tête.
Le détail des scénarios n’est venu qu’avec le temps. J’ai écrit le premier scénario et c’est seulement une fois les bases validées avec Marc-Antoine que je suis passé au deuxième. Rien n’était gravé dans le marbre pour la suite, ce qui a permis de modifier la trame en fil rouge au fur et à mesure des avancées et des idées.
LE PRÉSENT
Dès le départ, l’idée de la structure du jeu était d’emmener les joueurs dans des flashbacks distincts les uns des autres et de plus en plus éloignés dans le temps. Entre chaque flashback, chaque « scénario », je voulais essayer de faire avancer l’histoire dans le présent, là où elle est découvert par la protagoniste du jeu, Lucy. Ce « présent » a été sujet à de nombreuses modifications.
Je voulais créer un scénario en plus qui aurait été un paquet de cartes supplémentaires situées dans le présent. A chaque partie, les joueurs auraient eu deux paquets : celui du présent commun à toutes les parties qui s’agrandirait avec le temps, et celui du passé propre à ce scénario. Les découvertes du passé permettant de faire agir Lucy dans le présent, pour mieux comprendre le passé…
L’idée était cool mais la réalisation laborieuse et surtout le ressenti des joueurs n’était pas très bon : les cartes du présent étaient oubliées, ou mélangées avec le passé, ou les époques étaient confondues créant de l’incompréhension… bref, ça ne fonctionnait pas.
C’est dans le dernier tiers de l’écriture que cette idée qui a fait émerger la BD présente dans le jeu au final : les découvertes de Lucy sont narrées par une petite BD avec laquelle les joueurs interagissent avant la vision (pour voir comment elle se déclenche) et après (pour voir ce que Lucy a découvert dans le manoir grâce à la vision).
(Note de Marc-Antoine : Effectivement, après plusieurs playtests, le 5e scénario ne fonctionnait pas. Mais on s’attachait rapidement à Lucy et l’idée du fil rouge semblait concorder avec tous les besoins du jeu. Traiter ce 5e scénario comme un moment de répit entre les aventures, une zone neutre comme dans moult jeux vidéos, semblait une bonne option. On a placé les cartes sur une page fixe et ça a fonctionné. L’idée de la BD était née.)
LE MANOIR
Pour constituer le manoir, j’ai d’abord créé un plan en m’inspirant de vieux plans trouvés à droite à gauche. Je plaçais alors sur le plan les personnages tout en écrivant la description de la scène sur un fichier Word. Le plan du manoir a bien évidemment bougé au fur et à mesure de l’écriture (par exemple le « petit salon » n’existe plus) mais c’était important pour moi qu’il reste le même dans tous les scénarios pour que les joueurs qui ont réussi à se projeter mentalement dedans puisse retrouver leurs petits dans les scénarios suivants. Donc une fois une vision établie, les pièces qui apparaissaient devaient rester au même endroit pour la suite, seules les pièces inconnues pouvaient bouger.
LES CARTES
Les cartes illustrées sont au cœur de Flashback. Chaque carte représente une vision d’un personnage dans la scène figée. De mon côté, je suis passé par du texte pour permettre aux artistes de se projeter sur la scène en y plaçant tous les détails dont j’ai besoin pour que le scénario fonctionne. Cet exemple est le premier jet de la première carte du premier scénario. Elle a ensuite bougé à plusieurs reprises. :
Marc-Antoine débarquait alors ensuite pour faire un modelage 3D du manoir et donner les perspectives de chacun.
Cela passait ensuite dans les mains d’un story-boarder - Jérôme Mireault (comme pour les films : il s’occupe de faire des dessins rapides et efficaces, sans détails, pour se permettre de se projeter sur l’image finale avant de la faire faire par les artistes) pour que nous ayons une version testable sans solliciter directement les illustratrices finales.
(Note de Marc-Antoine : La différence principale avec la première boîte de Flashback était que comme les scénarios se passent tous à la même location, j’avais l’impression que la modélisation 3D se ferait plus simplement. Grave erreur. Car, de vision en vision, passons dans différentes pièces, à différentes époques, avec différents accessoires et personnages. La maison est multiple et profonde, alors à chaque étape, on découvrait un nouveau placard ou un escalier. Dans un scénario, il y a un piano. Dans l’autre, un télescope. À chaque scénario son époque et à chaque époque son défi.)
LES BIDULES
Un des éléments marquants de Flashback Zombie Kidz étaient les bidules, ces éléments cachés dans la boite qui donnent une nouvelle perspective sur le jeu et les cartes et offrent un plaisir de manipulation.
Pour Lucy, nous sommes passés par plusieurs étapes. J’ai longtemps essayé de faire en sorte que le bidule soit le même dans tous les scénarios mais utilisé différemment à chaque fois. Cela aurait été un paquet de cartes transparentes. Dans un scénario, les cartes transparentes auraient dû être posées sur les cartes pour changer leur visuel. Dans le deuxième, elles auraient dû être utilisées dans une « lampe » qui aurait projeté ainsi des visuels sur les cartes pour altérer leur contenu. Dans le suivant, cela aurait servi à être placé dans un zootrope pour constituer un film. Enfin dans le dernier, elles auraient servi à des jeux de perspective, un peu à la façon du jeu Vitrail, mais en 3D.
La lampe a vite disparu, Manu ayant clairement établi après quelques mois que nous n’aurions pas de piles dans la boite. Le zootrope coutait bien trop cher et prenait beaucoup trop de place dans la boite, tant pis.
Les cartes transparentes ont ainsi lentement mais sûrement glissées dans le cimetière des idées. Mais cela a permis d’arriver au résultat final (que je ne vais pas vous dévoiler ici, mais que je trouve super chouette !).
Mon beau prototype de zootrope
ILLUSTRATIONS ET FINALISATIONS
Le processus d’illustrations a impliqué plein de monde, puisqu’à partir de mes textes corrigés après tests et des storyboards, Laure de Châteaubourg et Jennifer Mati ont dessiné tous les décors des cartes et de la BD et Jiahui Eva Gao a réalisé tous les personnages.
Les décors étaient conçus en premier et les personnages placés dessus dans un second temps. De mon côté, je n’ai pas coordonné tout ce travail (bravo à Marc-Antoine) mais j’ai participé à plusieurs réunions avec les artistes des décors en particulier pour bien se mettre d’accord sur ce qui devait apparaitre ou non, les angles de vues, les ambiances, etc.
(Note de Marc-Antoine : Coordonner toute une équipe aux quatre coins du globe, c’est pas évident. Mais on y est arrivé et je suis très reconnaissant de la flexibilité de tous les participants. Merci Gabriel d’avoir été un si bon allié et (le vrai) papa de Lucy. Pour la postérité, je vais dire que je suis sa maman.)
crédit : Laure de Chateaubourg
crédit : Jenny Mati
Hervine Galliou a fait aussi un travail formidable de graphisme, de maquette et de réalisation de bidule secret trop chouette, bravo à elle !
Puis vient le long temps de production et d’aller-retours avec l’usine que je ne suis que de très loin avant de voir le produit fini apparaître. Un peu de stress au premier test de voir si tout fonctionne (ouf, c’est bon !) et voilà le jeu qui arrive vers les boutiques et les joueurs.
J’espère qu’il vous apportera autant de plaisir que j’ai eu à le réaliser avec cette super équipe !
Et si vous voulez aller encore plus loin dans les coulisses de la création de Flashback : Lucy, voici les Art Stations des illustrateur.ices :
Eva Jiahui Gao : https://evajiahuigao.artstation.com/projects/LR1x3w
Jenny Mati : https://www.artstation.com/artwork/qJ0b5n
Laure de Chateaubourg : https://laure_de_chateaubourg.artstation.com/projects/BXbwyD
Vous également trouverez ci-dessous la vidéo d'Un Monde de Jeux avec les auteurs:
Une fois par mois, le Grand Boubou du Scorpion partage ses réflexions d'éditeur avec vous. De l'évolution du marché à la rédaction des règles, en passant par les mécanismes de jeux.
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