les jeux sont aujourd’hui moins confrontants, car ils nous mesurent subjectivement plutôt que de façon objective.
Chaque fois qu’un journaliste ou un animateur radio - télé m’interviewe, il me demande invariablement pourquoi les jeux de société connaissent le regain que l’on sait. Retrouver le contact humain et fuir les écrans figurent parmi les réponses que les médias aiment entendre (oui, mieux vaut dire aux médias ce qu’ils veulent entendre si on veut qu’ils nous ré-invitent…).
J’aimerais émettre une autre hypothèse: les jeux sont aujourd’hui moins confrontants, car ils nous mesurent subjectivement plutôt que de façon objective.
Les jeux questionnaires dominaient les ventes de jeux d’ambiance “pour adultes” dans les années 1980-1990. Dans ce type de jeux, vous savez, ou pas, la réponse à une question. On mesure objectivement vos connaissances ou votre compétence.
Aujourd’hui, le jeu populaire auprès des adultes est Cards Against Humanity et ses multiples clones - dérivés: L’osti d’jeu (Québec), Blanc Manger Coco (France)... Cards étant lui-même largement inspiré de Apples to Apples. Le genre s’est élargi dans les dernières années avec les Joking Hazard et les autres titres où on vous demande si vous préférez vous faire électrocuter ou marcher sur le corps par des araignées. Dans tous ces jeux, on interroge seulement votre subjectivité. Votre préférence, vos goûts. Au lieu de vous demander “Quelle est la capitale du Québec?”, on vous demande “Laquelle de ces 4 phrases trouves-tu la plus drôle en conjonction avec celle-ci?” Cette façon de jouer a beaucoup plus de chances de fédérer tout le monde, jamais on ne vivra le malaise de constater (ou d’exposer) que nous sommes objectivement mauvais dans quelque chose.
Si je perds à Cards Against Humanity (mais qui compte les points de toute façon?!), c’est simplement parce que ma belle-soeur en a décidé ainsi. Ce n’est pas de ma faute, c’est de la sienne. C’est son humeur...
Je constate un peu la même chose lorsque nous proposons des jeux sur notre page Facebook. Nous avons deux jeux différents pour simuler Decrypto: le premier où il faut intercepter le code de l’équipe adverse (il y a UNE bonne réponse, objective), et l’autre où on demande de formuler 3 indices à partir d’un code imposé (certaines réponses sont meilleures, mais toutes les réponses sont acceptables). C’est ce dernier jeu qui s’avère le plus populaire, de loin.
Ne voyez dans cette conclusion aucun jugement sur la décadence du milieu du jeu ou notre société actuelle. En fait, cette façon “subjective” de jouer met tout le monde sur un pied d’égalité et permet peut-être au jeu de mieux rassembler?
Évidemment, on trouvera de nombreux contre-exemples à ce que je viens d’affirmer. Vous n’avez à regarder le catalogue du Scorpion Masqué: on y trouve très peu de jeux purement subjectifs de dehors de Qui paire gagne et nous réussissons quand même à obtenir un certain succès populaire. Je suis d’avis que si les jeux plus “objectifs” peuvent s’aliéner une certaine partie du public, ils auront tendance par contre à générer des émotions plus fortes et pourront ainsi trouver eux aussi leur public.
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